CUBA
et la GLOBALISATION
par FRANKLIN Jane
13 juin 2001
Au début du 20ème siècle, les Etats-Unis étaient en train de
codifier leurs relations futures avec Cuba par le biais de l’Amendement
Platt. A la fin du 20ème siècle, les Etats-Unis ont tenté de rétablir ces
anciennes relations par le biais des lois Torricelli et Helms-Burton. Ces
trois documents sont révélateurs d’un changement historique révolutionnaire
et de la transition idéologique qui en découle.
Les Etats-Unis sont nés dans une révolution anti-coloniale et
anti-féodale qui a inspiré la Révolution française, la Révolution haïtienne,
et les révolutions du 19ème siècle à travers l’Amérique latine. En 1898,
ayant accompli leurs conquêtes transcontinentales mais toujours auréolés
comme les champions de l’anticolonialisme, les Etats-Unis sont intervenus
dans une révolution anti-coloniale à Cuba, ouvrant ainsi le chemin à leur
transformation en empire global.
L’Amendement Platt fut présenté par Washington comme une
protection pour Cuba, contre le colonialisme. En réalité, l’Amendement Platt
a servi à faire sortir Cuba de l’état de colonie Espagnole pour le faire
entrer dans celui de néo-colonie états-unien. A cette époque, 85 pour cent de
la surface de la terre appartenait, ou était contrôlé par les Européens et
leurs descendants. Ceci était encore vrai à la fin de la deuxième guerre
mondiale.
Mais entre 1945 et 1949, un quart de la population mondiale
est passé du colonialisme à l’indépendance. En 1949, suite au triomphe de la
Révolution Communiste chinoise, un autre quart de la population accéda à
l’indépendance. Confrontés à cette révolution globale, les Etats-Unis sont
devenus les leaders de la contre-révolution globale. N’étant plus les
champions de l’anti-colonialisme, les Etats-Unis sont devenus les champions
de la démocratie. Les théoriciens éminents des Etats-Unis au 19ème siècle
étaient très francs quant à leur politique vis-à-vis de Cuba. Thomas
Jefferson voyait l’annexion de Cuba comme un pas vers « l’empire de la
liberté ». John Quincy Adams comparait Cuba à une pomme qui, tôt ou
tard, devait abandonner sa « relation non naturelle avec
l’Espagne » et tomber entre les mains des Etats-Unis.
Mais ces objectifs ont été contrariés par l’indépendance
Cubaine. Ce qui explique l’intervention de 1898, l’Amendement Platt, puis
encore des interventions en 1906, 1912, 1917, 1933 et toute la politique des
Etats-Unis depuis. L’Amendement Platt ne faisait que formaliser cette
politique de contrôle à l’époque. Comme l’a clairement exprimé Elihu Root, Secrétaire
de la Guerre (Ministre de la Défense), en 1901 « [l’Amendement Platt]
n’accorde aux Etats-Unis aucun droit qu’ils ne possèdent déjà ». Même
après l’abrogation de l’Amendement Platt en 1934, les Etats-Unis ont,
bien-sûr, maintenu leur contrôle politique et économique sur l’île.
Avec la victoire de la Révolution Cubaine en 1959, le
mouvement de libération mondial faisait irruption à proximité des plages de
la Floride. L’Administration du Président Eisenhower déclencha immédiatement
sa contre-révolution. Des lois - publiques - et des écrits - clandestins -
ont défini les bases de cette attaque, que les lois Torricelli et
Helms-Burton ne font que reformuler et élargir. Une note interne du
Département d’Etat datée du 24 Juin 1959 émettait l’hypothèse suivante : la suppression (par les Etats-Unis) des
quotas sucriers Cubains pourrait provoquer « un chômage massif » et
« de nombreuses personnes ainsi privés de travail connaîtraient la
faim ». Ces mots étaient secrets - confidentiels. Personne à l’époque ne
parlait ouvertement de cette politique destinée à provoquer délibérément la
faim. En Novembre 1959, le directeur de la CIA, Allen Dulles, avait calculé
que le premier ministre Fidel Castro tiendrait encore 8 mois ; il
espérait que l’Union Soviétique offrirait des armes, fournissant ainsi le
prétexte d’une intervention des Etats-Unis ; il regrettait qu’il n’y
avait pas encore de forces Cubaines aux Etats-Unis prêtes « pour une
utilisation future possible ».
Ce mot - « utilisation » - apporte un démenti à une
idée largement répandue selon laquelle ce serait les cubano-américains
d’extrême droite qui définiraient la politique des Etats-Unis. Ce n’est pas
la queue qui remue le chien. En l’espace de quelques mois, l’entraînement
d’émigrés cubains en vue d’une « utilisation future » avait
commencé et, en août 1960, la CIA fit appel à des figures du crime organisé
pour faire assassiner des dirigeants Cubains. Ensuite et pendant des
décennies ont assistera aux tentatives de renverser le gouvernement Cubain,
par une invasion, des assassinats, des sabotages, de la guerre biologique et
chimique, l’interdiction de commercer, l’interdiction de voyager.
Jusqu’en 1991, la principale justification idéologique pour
cette guerre d’usure sans relâche était que Cuba était devenu une
« marionnette » aux mains des Soviétiques, ou une
« base » ou une « colonie »... L’anti-colonialisme
affiché de l’Amendement Platt réapparu sous une nouvelle forme où l’Espagne
était remplacée par l’Union Soviétique dans le rôle de menace pour l’indépendance
de Cuba.
Mais en 1991, l’Union Soviétique se désintégra, et les
Etats-Unis sont entrés dans une période historique inconnue et sans précédent
en tant que seul et unique superpuissance à vocation hégémonique globale.
Ironiquement, les Etats-Unis arrivèrent à ce stade sans Cuba, qu’ils
possédaient au début du siècle. Si une menace Soviétique avait été la raison
de l’état de siège, il aurait dû s’arrêter du jour au lendemain. Mais au
contraire, les Etats-Unis ont poursuivi une vieille politique instaurée bien
avant que l’Union Soviétique n’existe. La loi Torricelli de 1992 et la Loi
Helms-Burton de 1996 ne prétendent plus sauver Cuba d’une puissance
étrangère. Sous couvert de « démocratie », ces lois prétendent
sauver Cuba de son propre gouvernement.
Le texte de l’Amendement Platt est court - sept articles,
chacun comportant une phrase (plus un huitième article rajouté au moment de
la signature du traité de 1903). Sur sept articles, trois mentionnent
« l’indépendance » cubaine comme objectif de la loi. Il n’y avait
pas besoin de donner beaucoup de détails, parce que cette loi ne faisait que
confirmer l’autorité des Etats-Unis. A l’inverse,
les lois de l’époque actuelle sont des documents très longs, qui tentent
péniblement de légiférer à distance sur la vie quotidienne des Cubains. En
1992, la Loi Torricelli est neuf fois plus long que l’Amendement Platt. En
1996, la Loi Helms-Burton est six fois plus long que la loi Torricelli.
En 1988, avant de recevoir des dons de la Fondation Nationale
Cubano-Américaine, le Représentant Robert Torricelli avait visité Cuba et
avait déclaré « Le niveau de vie n’est pas très élevé, mais les sans
domicile, la faim et la maladie qu’on peut voir dans une grande partie de
l’Amérique latine ne me paraissent pas évidents ici ». Mais la loi
Torricelli déclare que « un effondrement de l’économie Cubaine, un
soulèvement populaire, ou une souffrance généralisée » fournirait aux
Etats-Unis « une opportunité sans précédent de promouvoir une transition
pacifique vers la démocratie ».
Comment accomplir cette transition pacifique ?
Torricelli a clairement dit qu’il voulait « provoquer des ravages dans
l’île ». Sa loi « Cuban Democracy Act » [nom officiel de la
Loi Torricelli - note de CSP] est un manuel technique sur l’art de soumettre
un peuple par la faim.
En 1898, aucun dirigeant politique des Etats-Unis n’aurait
publiquement défendu l’idée de priver un peuple de nourriture. Même au bord
de la guerre, le Président William McKinly a insisté pour que la nourriture
soit distribuée « dans l’intérêt de l’humanité » et pour
« sauver des gens affamés sur l’île ». 94 ans plus tard, le Congrès
des Etats-Unis adoptera des lois visant à créer les conditions de famine.
Tout en interdisant le commerce de nourriture, la loi « Cuban Democracy
Act » offre « des donations de nourriture aux ONG ou
individus, » . La nourriture devient une arme
de chantage et de corruption.
Après la mise en place à Cuba d’un « gouvernement de
transition » approuvé par les Etats-Unis, « Nourriture, médicaments
et fournitures médicales pour des motifs humanitaires seront
disponibles » et « calibrés » selon l’obéissance de Cuba
envers les ordres des Etats-Unis. Bien que rempli de mots clés comme
« droits de l’homme », « transition vers la démocratie »,
et « système économique basé sur les lois du marché », cette loi de
1992 ne mentionne pas « indépendance ».
Après avoir reçu le feu vert par le biais de la Loi
Torricelli, les terroristes des Etats-Unis augmentèrent leurs attaques. Par
exemple, en Octobre 1992, les Commandos L ont tiré des coups de feu sur un
hôtel de Varadero et ont publiquement revendiqué l’action. Trois mois plus
tard, lors d’une conférence de presse télévisée, le dirigeant des Commandos L
annonça une recrudescence des attaques contre des objectifs touristiques à
Cuba et proclama « A partir de maintenant, nous sommes en guerre ».
Le mois suivant, le Représentant Torricelli exprima son
soutien au terrorisme. « Un groupe de patriotes cubains, à un moment
donné dans un futur proche, décidera, et quels que soient les risques
encourus, qu’il sera temps pour eux de prendre en main l’avenir de
Cuba, ». Il prédit que « la fin de ce gouvernement n’est plus
qu’une question de mois, en non d’années ».
Mais au fur et à mesure que les mois devenaient des années, la
Fondation Nationale Cubano-Américaine et le Sénateur Jesse Helms conçurent la
loi « de Solidarité Démocratique et Liberté Cubaine (Libertad) »
[loi dite Helms-Burton]. Ses mots magiques sont « élections
démocratiques libres et équitables », « droits de l’homme »,
« liberté », « transition vers la démocratie »,
« système économique basé sur les lois du marché » et
« propriété privée ». Cette loi mentionne
« auto-détermination » mais parle de « liberté » et
« démocratie » plutôt que « d’indépendance ».
Sans limites posées à leur actions, les terroristes des US ont
continué leur campagne, y compris des tentatives d’assassinat si
ostentatoires qu’on a dû procéder à quelques arrestations (mais pas de
condamnations à ce jour) en 1997 et 2000. L’absence de poursuites réelles contre
les auteurs d’actes de terrorisme contre le peuple Cubain est en total accord
avec le terrorisme légal voté par le Congrès. Avant de voter pour la loi
Helms-Burton, le Congrès des Etats-Unis a d’abord rejeté un amendement
destiné à autoriser la vente de nourriture, médicaments et matériel médical.
« En refusant cet amendement, nous disons aux parents Cubains que nous
allons bloquer les soins médicaux pour leurs enfants. » a dit le
Représentant Démocrate Jim McDermott, auteur de l’amendement.
« Ceci, » a-t-il dit, « est indéfendable ».
A peine le Président Bush avait-il signé l’entrée en vigueur
de la Loi Torricelli que l’Assemblée Générale des Nations-Unies vota contre
les sanctions des Etats-Unis contre Cuba. Mais la loi Helms-Burton ignora
l’opposition des Nations-Unies, et demandait au Conseil de Sécurité des
Nations-Unies d’adopter un « embargo international obligatoire ».
(En 2000, l’Assemblée Générale des Nations vota contre les sanctions par 167
voix contre 3).
Les auteurs initiaux des lois Torricelli et Helms-Burton
étaient membres de la Fondation Nationale Cubano-Américaine, qui fut créée
par Ronald Reagan en 1981 comme une arme politique contre Cuba. A présent,
cette organisation est devenue un instrument majeur dans la Globalisation
états-unienne. Ces deux lois incluent des mesures extra-territoriales qui
intègrent la vision du gouvernement des Etats-Unis selon laquelle le marché
global doit se conformer aux intérêts des Etats-Unis.
Une des nombreuses exigences de la Loi Helms-Burton pour un
“gouvernement démocratiquement élu” est que ce gouvernement doit “s’orienter
clairement vers un système économique basé sur le droit de propriété et à sa
jouissance” . Le titre III offre certainement une manière unique pour accéder
et jouir d’une propriété. D’un coup de baguette magique, en remontant le
temps, la loi déclare que les biens abandonnés par les émigrés cubains seront
désormais considérés comme des biens états-uniens, puisque ces cubains ont
acquis entre-temps la nationalité cubaine. Un bien Cubain deviendrait un bien
états-unien. Son but est de défaire le socialisme par la privatisation - à
partir de l’étranger. Les écoles, les cliniques, les locaux syndicaux, les
maisons privées, les plages publiques, les centres de soins,
les centres sucriers, et autres biens pourraient être confisqués. Devant des
tribunaux états-uniens, les états-uniens d’origine cubaine pourraient
poursuivre les investisseurs étrangers pour avoir « trafiqué » avec
les biens qu’ils possédaient lorsqu’ils étaient ressortissants Cubains.
Au mois de Juillet, George Bush décidera s’il continue ou non
à suspendre le Titre III de la loi Helms-Burton, suspension renouvelée tous
les six mois depuis l’adoption de la loi à cause de l’opposition des alliés
des Etats-Unis. L’Amendement Platt se limitait à Cuba, mais la loi
Helms-Burton prétend s’imposer à tous les pays du monde. La Loi Helms-Burton
prétend défendre « l’autodétermination » et des « élections
libres et équitables » et les « droits de l’homme » tout en
les trahissant. En 1901, Washington organisa une élection soi-disant libre à
Cuba, tout en occupant militairement l’île, et déclara comme démocratique le
gouvernement élu, même lorsque les lois racistes en vigueur dans les états du
Sud furent importées pour être appliquées durant ces élections-là. La loi
Helms-Burton décrète qu’un « gouvernement de transition » devra
« reconnaître que l’autodétermination du peuple Cubain est un droit
souverain et national des citoyens Cubains et doit s’exercer librement et
sans ingérence de la part d’un gouvernement d’un pays tiers ». La loi
ensuite s’ingère en indiquant précisément comment Cuba devra organiser ces
élections.
Ni Fidel Castro ni Raul Castro n’auront le droit de se
présenter à une élection « libre et équitable » qui recevrait
l’approbation de Washington. En 1952 lorsque le Général Batista renversa un
gouvernement élu, suspendit la Constitution et annula les élections, un jeune
homme du nom de Fidel Castro était candidat à l’élection du Congrès (cubain).
Le coup d’état des Etats-Unis l’ont empêché de se présenter à l’époque, et la
loi des Etats-Unis dit qu’il ne peut pas se présenter aujourd’hui. Une partie
de la logique déployée par la loi Helms-Burton est que Fidel Castro perdrait
des élections « libres et équitables ». Alors pourquoi lui
interdire de se présenter ?
Il y a cent ans, l’Amendement Platt garantissait
l’indépendance de Cuba en supprimant l’indépendance Cubaine. Les Lois
Torricelli et Helms-Burton légifèrent pour la
démocratie à Cuba tout en lui dictant son système politique, social et
économique.
(...)
***
Historian Jane
Franklin is the
author of Cuba and the U.S. Empire: A Chronological History.
E-mail Jane Franklin: janefranklin@hotmail.com