L’OBSESSION CUBAINE Ou la
Véritable Histoire de la CANF
par
FRANKLIN Jane
16
juillet 1996
poste d’Assistant au Secrétaire d’Etat des Affaires Inter-Américaines. Le lendemain, le nom de Baeza fut rayé de la liste des nominés du Département d’Etat [i.e. Ministère des Affaires Etrangères des Etats-Unis] transmise [pour approbation] au Congrès [des Etats-Unis]. Pourquoi ? Parce qu’il avait éliminé par la machine politique de Jorge Mas Canosa, président de la Cuban American National Foundation (CANF).
Un seul mot de Mas avait suffit pour faire dépêcher trois Démocrates influents - Sénateur Bill Bradley (New Jersey), Sénateur Bob Graham (Floride) et Représentant Robert Torricelli (New Jersey) - auprès du fraîchement élu Bill Clinton, qui annula la nomination avec servilité. Pendant quelques semaines on fit croire que la parole de Mas Canosa n’était pas parole d’évangile et que la nomination de Mario Baeza avait simplement été « suspendue ». Mais Maria Echaveste, adjointe au directeur du personnel de l’équipe de Bill Clinton, a déclaré le jour même où le nom de Baeza fût rayé que celui-ci ne serait nommé en aucun cas.
Qui est ce Jorge Mas Canosa qui exerce une influence suffisante pour faire opposer un veto à la nomination par le Président au poste de Responsable de l’Amérique latine au Département d’Etat ? Comment a-t-il gagné suffisamment de pouvoir pour influer sur la politique étrangère de l’Administration des Etats-Unis ?
En mars, la fondation Scripps-Howard accorda son « Service to the First Amendment award » ( Prix de Service Rendus au Premier Amendement - le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis qui garanti la liberté d’expression) à David Lawrence Jr., du Miami Herald, pour une série d’articles qu’il avait écrits après que Mas ait lancé une campagne contre le Herald et son édition en langue espagnole, El Nuevo Herald, en Janvier 1992. Lawrence avait pris partie contre la soi-disant Cuba Democracy Act (Loi de Démocratie Cubaine - plus connue sous le nom de Loi Torricelli). Conçue par la CANF, cette loi qui renforce l’embargo des Etats-Unis contre Cuba était sur le point d’être présentée (au Congrès) par Torricelli et Graham. [ note de CSP : la loi Cuba Democracy Act a été encore durcie depuis par la loi Helms-Burton ]. Mas dénonça le Herald comme un outil de Fidel Castro. Des menaces de mort et des alertes à la bombe ont suivi à l’encontre de Lawrence et d’autres dirigeants du Herald. Les distributeurs de journaux [note de CSP : machines à distribuer les journaux dans les rues - pratique courante aux Etats-Unis] étaient recouvert d’excréments. Reconnaissant le fait qu’il fallait du courage pour s’opposer à Mas Canosa, la Fondation Scripps-Howard a loué « la réaction courageuse et pondérée face aux menaces proférées contre sa vie et son métier ».
Au mois d’Août 1992, l’organisation Americas Watch et Fund for Free Expression ont émis un rapport sur les violations des droits de l’homme à Miami, fournissant une documentation sur une campagne d’intimidation et de terreur et critiquant le Gouvernement des Etats-Unis pour son « encouragement, principalement par le financement, de groupes qui sont étroitement associés à des tentatives de limiter la liberté d’expression ». Le « principal exemple », précise le rapport, est l’argent versé à des groupes tels que le Cuban American National Foundation, dirigé par Jorge Mas Canosa.
Pourquoi des dirigeants Démocrates tels que Bradley, Graham, Torricelli et même le Président se soumettent-ils aux volontés de cet homme ? Certains disent que Mas est un multimillionnaire d’une grande influence dont l’organisation accorde des centaines de milliers de dollars aux politiciens. Par exemple, en Avril 1992, en pleine campagne électorale et à la recherche de fonds, le Gouverneur Clinton, dans une opération qualifiée de « Contrat à la Faust » par le journal Boston Globe, participa à une réunion de collecte de fonds sponsorisée par la CANF dans le quartier de Little Havana à Miami, et annonça au milieu des ovations, « J’ai lu la loi Torricelli-Graham et elle me plait ». Clinton a aussi déclaré que l’Administration Bush « a raté une grande occasion pour cogner durement ("hammer on") sur Fidel Castro et Cuba ». Clinton fut récompensé par une donation de $125.000 et reçu $150.000 de plus lors d’un autre meeting sponsorisé aussi par la CANF dans la ville de Coral Gables. Juste avant un vote important sur la loi en Septembre 1992, le candidat à la Présidence Bill Clinton diffusa un communiqué de presse appelant le Congrès à voter en faveur de la loi. Le tarif de Clinton de $275.000 n’était pas très élevé, à peine la moitié des $550.000 accordés par les Cubano-Américains au Président Bush le 23 octobre, le jour où celui-ci se rendit en Floride du Sud pour signer la loi Cuban Democracy Act.
Mais il y a plus derrière cette histoire qu’une question d’argent. Mas n’est qu’un personnage maléfique de plus dans la longue lignée de ceux que Washington a embrigadé pour renverser Fidel Castro. En 1960, alors que Mas n’était qu’un sous-fifre dans le plan concocté par la CIA pour l’invasion de la Baie des Cochons, l’Administration Eisenhower recrutait des assassins parmi les grosses pointures du crime organisé dans le but de faire assassiner le Premier Ministre Castro. Avec l’idée évidente en tête que ces parrains du crime étaient leur meilleur atout depuis la perte de la Havane entre les mains de Révolutionnaires et que ceux-ci seraient enthousiasmés à l’idée de faire revivre le Terrain de Jeux de l’Occident, le Gouvernement des Etats-Unis fit appel aux services de Sam Giancana, John Roselli et Santo Trafficante Jr. pour organiser toute une série d’assassinats.
Cet ensemble de machinations donnait au jeune Jorge Mas Canosa ses premières leçons de démocratie. Arrivé de Cuba en 1960, il devint rapidement un élément sacrifiable de la Brigade 2506, entraînée par la CIA en vue d’une reconquête de Cuba. Mas Canosa se trouvait à bord d’une des barges de débarquement qui se dirigeaient vers la Baie des Cochons en Avril 1961. Elle n’accosta jamais.
Peut-être que la première leçon de Mas sur la manière de manipuler Washington fût lorsque le Président Kennedy, pour atténuer les effets d’une libération par Cuba des prisonniers de la Baie des Cochons, offrit des indemnisations aux membres de la Brigade 2506. Mas accepta l’offre mais choisit rapidement de reprendre ses activités clandestines. Comme commentateur de Radio Swan de la CIA, un des projets de E. Howard Hunt, il diffusait des émissions de propagande vers Cuba , un métier qu’il pratique toujours. Mas se vante d’avoir « mené des opérations de commando » contre Cuba jusqu’en 1968.
A cette époque, il se servit de son expérience acquise pour changer de statut. Avec ses liens étroits avec la CIA et autres officines secrètes, Mas était prêt pour emprunter des chemins de raccourci dans le monde des affaires de la Floride. Après avoir mis la main sur Iglesias y Torres, une société de bureau d’études et de sous-traitance qu’il rebaptisa en anglais Church & Tower, Mas devint rapidement un multimillionnaire, profitant notamment des contrats avec la compagnie Southern Bell.
Il cultiva ses relations avec les Démocrates de la Floride tels que les Sénateurs Richard Stone et Lawton Chiles (qui est Gouverneur à présent) et des membres de la chambre de Miami comme Claude Pepper et Dante Fascell. Mais Mas a aussi été un supporter Républicain avant même d’acquérir la nationalité états-unienne en 1981. Lorsque la Républicaine Paula Hawkins remporta le siège face à Stone, lors du raz de marée Reaganien de 1980, Mas était un de ses principaux soutiens. Selon Raul Masvidal, un fondateur de la CANF qui abandonna plus tard l’organisation, Mas « campait » dans son bureau au Sénat.
Le mélange de CIA, affaires et politique faisait de Mas un instrument de valeur pour l’Administration Reagan lorsque celui-ci prit le pouvoir en 1981. Le premier conseiller de Sécurité Nationale de Reagan, Richard Allen, reconnut les Cubano-américains comme des alliés naturels dans l’escalade de la guerre contre le communisme. Allen s’occupa de la création de la Cuban American National Foundation, une organisation exemptée d’impôts (i.e. à but non lucratif) qui fournit à Mas un tremplin vers la Politique nationale et internationale. D’autres fondateurs de l’organisation se retirèrent au fur et à mesure que Mas façonnait la CANF selon les desiderata de la Maison Blanche. En retour, l’administration de Reagan-Bush le bénirent Président virtuel de la communauté Cubaine en exil, le désignant comme le libérateur qui « ramènerait la démocratie » à Cuba.
Assisté par Bernard Barnett, pièce maîtresse du groupe de pression (lobby) israélien - via l’American Israël Public Affairs Committee ou AIPAC - la CANF mit en place ses propres structures de pression, telles que Free Cuba et Cuban American Foundation, qui devaient distribuer l’argent et l’information. Avec le soutien de la Maison Blanche et son amitié avec le fils du vice-Président Bush, Jeb Bush, habitant le Comté de Dade (ie autour de Miami), Mas pouvait convaincre les cubano-américains qu’il était leur meilleur porte-parole auprès de Washington. Il pouvait ensuite faire jouer ce rôle pour accroître son influence à Washington et maintenir une politique continue de guerre économique et politique contre Cuba. La CANF s’oppose à toute négociation, ou même contact, avec Cuba.
Qu’en est-il des Cubano-américains qui désirent voyager à Cuba, commercer avec Cuba, négocier avec Cuba ou établir des relations diplomatiques ? Pour que la CANF puisse être la seule et unique voix de la communauté en exil, les autres voix devaient être réduites au silence ou neutralisées.
Alors qu’il occupait déjà un poste influent de commentateur dans deux radios de langue espagnole à Miami, Radio Mambi et Radio WQBA, Mas chercha d’autres débouchés pour ses idées. En Septembre 1981, Richard Allen et Thomas Enders, assistant au Secrétaire d’Etat dévoilèrent le plan pour créer Radio Marti, un des projets chers au coeur de Mas Canosa. Avec ce projet, Mas réussissait à impliquer le Gouvernement des Etats-Unis dans des transmissions vers Cuba au frais du contribuable états-unien. Le plan fut approuvé par le Congrès en 1983, et Radio Marti commença à émettre deux ans plus tard.
En décembre 1987, le Congrès accorda le premier budget à TV Marti après que le Sénateur Chiles ait effectué une étude de faisabilité préalable. Peu de temps après, le Congrès était en train de voter des millions de dollars pour ce projet qui devait émettre (des émissions de télévision) vers Cuba dès 1990. Comme pour chacune des oeuvres de Mas Canosa, ces stations ne sont que des outils d’auto promotion qui resserrent ses liens avec le Gouvernement des Etats-Unis. Les bureaux de conseil au Président de Radio Marti et de TV Marti n’ont, depuis leur création, qu’un seul et même président : Mas Canosa.
Certaines voix se sont élevées contre cet état des choses. Ernesto Betancourt en est un bon exemple. Nommé comme le premier directeur de Radio Marti et anti-castriste militant, il n’était pas en faveur d’un durcissement de l’embargo commercial. Il s’opposa aussi à la création de TV Marti car celle-ci violait les accords internationaux. Fondamentalement, il récusait le fait que Radio Marti serve de porte-voix à Mas. Bétancourt fut réaffecté (puis démissionna) en 1990.
CANF possède une station de radio nommée La Voz de la Fundacion (la Voix de la Fondation), qui sert non seulement à attaquer le Gouvernement Cubain mais aussi les dissidents en faveur d’un dialogue avec le Gouvernement Cubain. Un message classique diffusé sur cette radio encourage les Cubains à sortir les casseroles, descendre dans la rue, exiger de la nourriture, la liberté et le retour de Mas.
Emilio Milan, qui travaillait pour la radio WQBA, a raconté à l’émission 60 Minutes de CBS, à l’automne 1992, que Mas exigeait des « applaudissements ou le silence ». Lorsque la chaîne de télévision publique PBS programma un documentaires sur Mas et la CANF au mois d’octobre 1992, le président de CANF, Francisco J. (Pepe) Hernandez, tenta d’intimider le producteur et écrivain Sandra Dickson. Trois semaines plus tard, Bill Clinton reçut Hernandez au cours d’un meeting privé, avec Mas et une poignée d’autres cubano-américains d’extrême droite de la Floride, dans une dernière tentative futile pour gagner suffisamment de voix pour remporter la Floride [note de CSP : déjà La Floride à l’époque !]
Lorsqu’on lui reprochait d’acheter les gens, Mas répondait que la pratique de la démocratie aux Etats-Unis incluait les groupes de pression puissantes et capables de donner des « contributions » aux dirigeants politiques. D’où proviennent les fonds de la CANF ? D’abord, il fait cotiser ses riches membres à hauteur de $5.000 à $10.000 (parfois plus) par an. CANF récolte aussi de l’argent du Congrès, dont elle finance certains membres. En 1983, deux ans après la création de la CANF et à l’initiative de l’Administration Reagan, le Congrès créa le National Endowment for Democracy afin de promouvoir les institutions « démocratiques » à travers le monde. Le NED a fourni des centaines de milliers de dollars à des organisations vitrines de la CANF - par exemple la European Coalition for Human Rights in Cuba (la Coalition Européenne pour les Droits de l’Homme à Cuba).
Depuis 1988, la CANF et les services d’immigration et de naturalisation des Etats-Unis (U.S. Immigration and Naturalization Service) ont établi un accord unique, le Projet Exodus, qui autorise les cubains exilés dans des pays tiers à entrer aux Etats-Unis si la CANF les parraine. Ainsi le nombre de supporters de la CANF augmente aux Etats-Unis et en même temps lui attire plus de subventions de la part du Gouvernement.
Mas comprend d’après sa propre expérience que l’exercice de la démocratie aux Etats-Unis passe aussi par des opérations secrètes, en dessous de la loi. Il se sert de son réseau clandestin pour influencer la politique étrangère contre tout groupe ou pays qui s’engage d’une manière ou d’une autre avec Cuba. Ses relations avec les cubano-américains Felix Rodriguez, Luis Posada, et Orlando Bosch méritent d’être citées. Comme Mas, tous les trois sont des anciens de la Baie des Cochons et travaillent encore pour la CIA.
Rodriguez se vante d’avoir exécuté Che Guevara après que celui-ci ait été blessé et capturé en Bolivie par un commando de la CIA. En 1982, lorsque Rodriguez voulait mettre en pratique sa « Théorie des Hélicoptères » contre les guérillas au Salvador, Mas le présenta à l’ex-Sénateur Stone, l’envoyé spécial de Reagan en Amérique central. Rodriguez et Posada étaient les agents US chargés de l’aide illégale aux Contras au Nicaragua à partir de la base aérienne de Ilopango au Salvador lorsque l’avion de Eugene Hasenfu fut abattu en 1987 (au dessus du Nicaragua) et révéla les dessous de l’opération qui elle-même fut à l’origine de la scandale Iran-Contra.
Posada et Bosch sont impliqués dans l’explosion d’un avion civil de la compagnie Cubana en 1976, où les 73 passagers trouvèrent la mort. Bosch a aussi été jugé coupable d’actes terroristes tels que l’attaque au bazooka en 1968 contre un navire polonais à Miami et pour ses menaces de mort à l’encontre des dirigeants de France, Espagne et Italie pour leur commerce avec Cuba. En 1983, Mas devint le dirigeant d’un comité pour la libération de Bosch d’un prison vénézuélien.
Le fait d’avoir protégé un terroriste avéré a-t-il terni l’image de Mas ? Pas à Miami en tout cas où une « Journée Orlando Bosch » a été proclamée.
Après la libération de Bosch en 1988, le Ministère de la Justice des Etats-Unis demanda son extradition en se basant sur des rapports de la CIA et FBI qui révélaient l’énormité de son terrorisme. A cette époque, la CANF soutenait la Républicaine Ileana Ros-Lehtinen dans la course au Congrès en remplacement du siège de Claude Pepper. Avec Jeb Bush comme directeur de campagne et la présence du Président Bush à ses côtés, elle remporta le siège et intervint en faveur de Bosch auprès de Washington. Jeb Bush et le Sénateur Connie Mack, Républicain de Floride, sont intervenus aussi pour obtenir sa libération.
Bosch fut libéré en 1990 par l’administration Bush. Bush était directeur de la CIA en 1976 lorsque Bosch, agent de la CIA à l’époque, fonda l’organisation Commanders of the United Revolutionary organizations (CORU) pour une attaque tous azimuts de cibles cubains.
Ex-commissioner de la Ville de Miami, Joe Carollo, qui échoua à sa réélection après avoir croisé le chemin de Mas, qualifia la CANF de « petite clique de millionnaires qui se sont faits pleins de fric dans la lutte contre le communisme mais qui réellement veulent prendre le contrôle de Miami ». Miami, cependant, n’est que la début.
La marque de Mas Canosa peut être trouvée dans n’importe quel domaine de la politique étrangère des Etats-Unis qui ait une relation proche ou lointaine avec Cuba.
En Juin 1991, huit élus cubano-américains sur les dix que compte le comté de Dade ont tenu une conférence de presse pour demander au Président Bush de conditionner l’aide des Etats-Unis à la Russie à trois choses : suspension de l’aide Russe à Cuba, retrait des troupes russes de Cuba, et une aide pour « éliminer » Fidel Castro. La CANF finança une visite de Boris Yeltsin à Miami en 1989 et plus tard ouvrit des bureaux à Moscou.
Durant les années ’80, Mas mobilisa au sein de la communauté cubano-américaine contre le gouvernement Sandiniste au Nicaragua. Le journal d’Oliver North mentionne la secrétaire de Mas Canosa, Ines Diaz, et Jorge Mas à coté d’une somme de $80.000.
En 1986, la CANF a sponsorisé des apparitions publiques de Jonas Savimbi, chef d’un groupe rebelle (UNITA) appuyé par l’Afrique du Sud et les Etats-Unis dans la guerre civile en Angola. Les troupes Cubaines se battaient aux côtés des forces gouvernementales contre les troupes de l’Afrique du Sud qui avaient envahi l’Angola et occupé la Namibie.
En Avril 1990, le dirigeant de l’African National Congress, Nelson Mandela, qualifia Cuba « d’inspiration » et rendit hommage à son attachement aux droits de l’homme et à la liberté. Lorsque Mandela visita Miami deux mois plus tard, des dizaines de milliers de personnes l’ont accueilli au cours d’une manifestation anti-apartheid, mais les politiciens locaux ont refusé d’assister aux cérémonies officielles en guise de représailles à ses propos. Un boycott touristique contre le comté de Dade, mené par la communauté noire, devait ensuite durer trois ans.
Pendant plus de dix ans, Mas a réussi a garder le contrôle sur les officiels locaux de la Floride du Sud. Une de ses cartes majeures est le maire de Miami Xavier Suarez, un allié de la CANF qui occupe le fauteuil de maire depuis 1985. La politique de la CANF s’impose à la Commission de la Ville. Comme l’a indiqué un des aides de Mas au Miami Herald « Je n’arrive pas à le croire. On est là à le regarder traiter avec les membres de la commission et il les traite comme des chauffeurs. » Ensuite il ajouta, « Si vous me citez, je serai détruit ».
Au niveau du gouvernement de l’Etat de Floride, Mas est président de Free Cuba Commission, qui conseille le Gouverneur de Floride sur sa politique à l’égard de Cuba. Chaque officiel comprend les conséquences de ne pas suivre les conseils de la Commission.
Les deux Sénateurs, le Républicain Mack et le Démocrate Graham, suivent les diktats de la CANF. Après l’élection de Ileana Ros-Lehtinen, première cubano-américaine au Congrès, la CANF a aidé à l’élection d’un deuxième en Floride, le Républicain Lincoln Diaz-Balart.
L’influence de la CANF au Congrès ne se limite pas à la délégation de Floride. En 1988, par exemple, la CANF aida le Démocrate de droite Joseph Liebermann à déloger le Sénateur Républicain Lowell Weicker du Connecticut. Weicker voulait améliorer les relations avec Cuba. Liebermann, au contraire, a rejoint Graham, Mack et Fascell dans la Blue Ribbon Commission for the Economic Reconstruction of Cuba (Commission Ruban Bleu pour une Reconstruction Economique de Cuba) de la CANF, dont Malcolm Forbes Jr. est membre honorifique.
Note de CSP : Malcolm Forbes Jr. est rédacteur en chef du magazine d’affaires FORBES Magazine, qui avait publié, dans son numéro du 27 Juillet 1997 que "Fidel Castro était l’un des hommes les plus riches du monde"...comme par hasard. Le monde est petit, petit...
Mas accorde une attention particulière aux deux commissions du Congrès qui exercent l’influence la plus directe sur la politique vis-à-vis de Cuba : les Commissions des Affaires Etrangères des deux chambres. Dante Fascell, président de la commission de la chambre des Représentants, a toujours été dans la poche de Mas.
En Novembre 1988, le Sénateur Démocrate Claiborne Pell de Rhode Island, président de la commission du Sénat, et Torricelli, président de la sous-commission des Affaires occidentales de la chambre des Représentants, visitèrent séparément Cuba. A son retour, Pell appela à « une relation plus rationnelle et normalisée avec Cuba, » et prônait le dialogue. Mais en 1990, face à une réélection difficile, Pell rencontra des membres de la CANF et tourna sa veste en soutenant un renforcement de l’embargo économique.
Plus particulièrement, il a soutenu la proposition du Sénateur Mack de rendre illégale tout commerce avec Cuba de la part des filiales des sociétés états-uniennes situées dans des pays tiers. Cette proposition a été incluse depuis dans la loi Cuban Democracy Act (ie Loi Torricelli).
Pour sa part, Torricelli, à son retour de Cuba, a raconté aux journalistes que « Le niveau de vie n’est pas très élevé, mais les sans domicile, la faim et la maladie qu’on peut voir dans une grande partie de l’Amérique latine ne me paraissent pas évidents ici ». Cependant, en 1991, Torricelli travaillait en collaboration avec Mas Canosa au renversement du Gouvernement Cubain.
Après la Floride, c’est l’état du New Jersey qui a la plus grande population de cubano-américains aux Etats-Unis. La CANF y a construit une machine politique Démocrate où Torricelli en est le pivot. Bien qu’il bénéficie des largesses de la CANF, ces contributions ne peuvent être les seules motivations de Torricelli. Il est connu pour être quelqu’un d’ambitieux, alors des spéculations vont bon train entre une promesse de la CANF à donner un coup de main dans une campagne de niveau local ou national jusqu’à la possibilité de richesses au cas où la CANF prendrait le pouvoir à La Havane. Torricelli appelle Mas son « bon ami » qui entrera dans les livres d’histoire comme le libérateur de Cuba.
Torricelli a collaboré avec Mas à la rédaction de la loi Cuban Democracy Act dans le but d’étrangler l’économie cubaine, y compris les systèmes exemplaires d’éducation et de santé, et faire tomber Fidel Castro. Torricelli présenta la loi en Février 1992 en lui assignant « la plus haute priorité ». Il refusa de rencontrer les opposants à la loi, bien que leur position, partagée par le Miami Herald, le New York Times, le Boston Globe, le Washington Post, et beaucoup d’autres, ne pouvait être considérée comme celle d’une frange lunatique.
Lorsque le Sénateur Graham présenta la loi au Sénat, le Sénateur Démocrate du New Jersey Frank Lautenberg choqua beaucoup de monde en se rangeant immédiatement du coté des partisans de la loi. De même, le Sénateur Démocrate Bradley se rangea du même côté, et continue de servir Mas. Après s’être précipité vers Clinton avec l’opposition de Mas pour la nomination de Mario Baeza, Bradley fut sans aucun doute surpris par une vague de soutien à la candidature de Baeza, y compris de la part d’exilés Cubains. Il fit marche arrière après que sa mission ait été accomplie en insistant qu’il n’avait pas saboté la candidature de Baeza mais avait simplement défendu son propre candidat. Et qui était ce candidat ? Le goût du secret de Bradley n’a pas permis d’obtenir une réponse, mais un de ses aides m’a dit « elle est originaire du Pérou ».
En Novembre 1992, Mas a décroché un soutien de plus au Congrès en faisant élire Robert Menendez à la Chambre des Représentants. Accompagné de Mas et de Torricelli lors d’un meeting l’année dernière, Menendez, en principe un Démocrate libéral, s’insurgea « alors que le Gouvernement autorise l’entrée de publications Cubaines dans ce pays, ici à Union City, nous n’allons pas les accepter dans nos écoles et bibliothèques ! ». Figure de proue émergente au sein de la CANF, Menendez a désormais rejoint Torricelli à la Commission des Affaires Etrangères de la chambre des Représentants. Avec le Sénateur Bradley qui chante ses louanges, il est aussi un des cinq nouveaux chefs de groupes (whips) Démocrates en charge de mobiliser ses collègues derrière les positions du Parti.
En Janvier 1992, un autre Démocrate éminent du New Jersey « fit les yeux doux à la CANF » (selon les termes du Jersey Journal). Dans une opération arrangée par Torricelli, le Gouverneur Jim Florio, face à une réélection difficile, rencontra quelques 35 membres dirigeants de la CANF du New Jersey pour obtenir leur soutien.
Mais même si quelques politiciens se précipitent pour rejoindre son appareil politique, Jorge Mas Canosa court vers des ennuis. L’Administration Bush s’est d’abord opposé à la Loi Torricelli, Cuban Democracy Act, parce que celle-ci rendait illégale le commerce avec Cuba par les filiales de sociétés états-uniennes basées à l’étranger - une clause qui risquait d’offenser les alliés tels que la Grande Bretagne, La France et le Canada. Bush donna son accord uniquement après que Clinton lui ait forcé la main en déclarant son soutien à la loi. En Novembre, l’Assemblée Générale des Nations-Unies a porté un coup sans précédant à la politique des Etats-Unis en votant par 59 voix contre 3 en faveur d’un résolution de Cuba appelant non seulement au rejet de la loi Cuban Democracy Act, mais de la totalité de l’embargo commercial des Etats-Unis imposé à Cuba depuis trente ans.
(note de CSP : les votes suivantes à l’ONU n’ont fait qu’amplifier le rejet de la politique des Etats-Unis par les Nations-Unies. Voir résultats du vote.)
La controverse autour de la nomination de Baeza constitue un autre échec pour Mas Canosa. Spécialiste en privatisations, pas vraiment une activité de gauche, Baeza possède des années d’expérience dans les domaines du commerce et de l’économie en Amérique latine. Mas soupçonnait Baeza de ne pas être assez intransigeant car ce dernier avait visité Cuba deux fois déjà. De plus, Baeza était d’origine afro-cubaine et n’était pas un sympathisant de la CANF.
Le triomphe de Mas dans cette affaire a alerté pas mal de personnes, comme le Congressional Black Caucus, sur sa capacité à impulser une politique de droite qui fait du mal non seulement aux Cubains mais aussi à des gens ici aux Etats-Unis. Interpellant directement Bill Clinton, le Représentant Démocrate Charles Rangel de New York écrivit dans le Miami Herald le 26 janvier, « M. le Président, ne vous laissez pas intimider par les tactiques de voyou d’un groupe de pression motivé par le racisme ». Il appela le Président à « envoyer un message clair pour dire que les tactiques d’extrême droite et racistes ne sauraient déterminer le choix du Président pour ses conseillers dans des domaines aussi vitales que la politique économique et étrangère ».
Dans une autre lettre ouverte au Président Clinton au mois de Février, Rangel fit remarquer « qu’en tant que nation sensible, nous ne devrions pas être associés avec le refus de produits humanitaires, tels que nourriture et médicaments, au peuple Cubain ». Clinton répondit qu’il pensait « que la loi Cuban Democracy Act constituait un pas dans la bonne direction », une réaction habituelle de sa part.
Rangel réagit en proposant une loi Free Trade with Cuba Act (la loi de libre commerce avec Cuba) qui devait mettre fin à l’embargo. Il tenta de convaincre le Congrès « de changer notre politique à l’égard de Cuba et la rendre conforme aux nouvelles réalités politiques mondiales ainsi qu’à nos propres priorités économiques ».
Cependant, les Clinton ont un lien familial avec l’extrême droite cubano-américaine. Le frère de Hillary Rodham Clinton, Hugh, est marié à Victoria Arias, une Républicaine qui a mobilisé en faveur de Clinton en Floride par le biais de groupes tels que Cuban American Women for Clinton (femmes cubano-américaines pour Clinton). Hugh Rodham et l’autre frère de Hillary, Tony, ont aussi travaillé pour Clinton au sein des Cubains Républicains. Ils s’attendent à voir plus de Cubains changer de parti depuis la Présidence de Clinton.
Mais la situation économique qui se détériore à Cuba est en train de provoquer un changement dans la communauté cubano-américaine qui aura des effets à long-terme. Auparavant, les Cubains sur l’île ne manquait ni de nourriture ni de médicaments ; leur système de santé a été reconnu internationalement comme le meilleur du Tiers-Monde. Maintenant, de nombreux cubano-américains sont préoccupés par les souffrances de leur famille et amis sous l’embargo US promu par la CANF. Une pancarte populaire lors des manifestations anti-embargo dit « Torricelli, avez-vous de la famille à Cuba ? »
Ces manifestations font partie d’un mouvement de défiance ouverte à l’égard de Jorge Mas Canosa et les méthodes de voyous de la CANF. Malgré un tempête de neige le 26 février, des centaines de cubano-américains se sont rassemblés à Washington pour protester contre l’embargo. André Gomez, à la tête de la Brigade Antonio Maceo, présenta une pétition contre l’embargo signée par 35.000 cubano-américains de Miami.
Les méthodes de la CANF lui ont fait perdre même un de ses plus proches alliés, Armando Valladares (note de CSP : dissident cubain, mythomane et mystique, représentant les Etats-Unis à la commission des Droits de l’Homme de l’ONU. A l’origine d’une des plus belles manipulations de l’opinion que les Etats-Unis aient réussi à faire, voir page spéciale.).
Mas continue ses préparatifs pour exporter à Cuba sa marque de démocratie. La CANF a crée une Mision Marti, sa propre version des Peace Corps, avec des missionnaires entraînés pendant 6 mois sur comment diriger un Cuba post-castriste vers le capitalisme. Des Cubano-américains ont été formés en Floride, New York et New Jersey et sont prêts à entrer en action lorsque ils seront appelés.
Mas est passé maître dans l’art de tirer les ficelles, un marionnettiste qui transforme l’argent en influence et l’influence en pouvoir. Dans sa perpétuelle course dans la récolte de fonds et de pouvoir, il fait payer $25.000 à des hommes d’affaires qui veulent être dans le premier bateau pour la Havane « après la chute de Castro ». Ses soutiens incluent l’énorme banque d’affaires Lazard Frères dirigé par Felix Rohatyn (une financier majeur de la campagne électorale de Clinton), Citibank, Bell South, General Cigar, Hyatt Hotels et la Royal Caribbean Cruise Line, tous impatients de voir « le retour de la démocratie à Cuba ».
Au fait, quand est-ce que Cuba aurait-eu cette démocratie qu’il faudrait voir retourner ? En 1898, lorsque les Etats-Unis sont intervenus dans la Guerre d’Indépendance Cubaine pour transformer Cuba en une néo-colonie ? En 1901, lorsqu’une élection organisée par les Etats-Unis a vu la victoire d’un alter-ego de Mas Canosa, que celui-ci cite souvent, Tomas Estrada Palma qui peu après appela à une intervention militaire US ? En 1952, quand les Etats-Unis ont soutenu un coup d’état par le Général Fulgencio Batista juste à temps pour empêcher les élections ?
Un multimillionnaire d’extrême droite à la tête du gouvernement de Cuba plairait certainement aux financiers états-uniens. Mais sur l’île, ils sont peu nombreux - y compris parmi les dissidents - à vouloir Jorge Mas Canosa comme président. Après tout, c’était sous le règne de gens comme lui que le peuple cubain a décidé un jour de faire une Révolution.
Jane Franklin est l’auteur de Cuba and the U.S.Empire : A Chronological History
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Historian Jane Franklin is the author
of Cuba and the U.S. Empire: A Chronological History.
E-mail: JaneFranklin@hotmail.com